LE LYCEEN, NOUVEL ACTEUR COLLECTIF DE LA FIN DU XXe SIECLE.

D'après le Colloque “ Lycées et lycéens en France, XIXe - XXe siècles ”, tenu les 9 et 10
juillet 2002 à la Sorbonne(Robi MORDER

C’est au dernier tiers du XXe siècle qu’émergent des “ mouvements lycéens ”.
Auparavant, s’il y avait eu des lycéens en action, on parle plutôt de la “ manifestation étudiante ” du 11 novembre 1940 à l'Etoile … pourtant à 80-90% composée de lycéens Il en va de même pendant la guerre d’Algérie, où c’est de l’UNEF qu’on fait état.

A partir du milieu des années 1960 - avec la formation des Comités d'action lycéens (CAL) – s’affirme un mouvement spécifique passant de la dépendance à l’autonomie.
Ce sont des mouvements uniquement lycéens (affaire Guiot 1971, loi Debré 1973, réformes Fontanet et Haby 1974 et 1975, mouvements des lycées professionnels en 1979/1980, mouvements sur les budgets et pour les droits des élèves en 1990, 1998 et 1999), ou avec participation lycéenne importante (derrière le mouvement étudiant en 1976, 1986 et 1994). On distingue deux grandes vagues, celle des “ années 1968 ” puis celle postérieure au mouvement “ Devaquet ” .


 

DES CONSTANTES DU REPERTOIRE D’ACTION.

La contestation lycéenne atteint toutes les institutions considérées comme répressives : d’abord l’Ecole elle-même (1974 réforme Fontanet, 1975 et 1976 réforme Haby), la police et la justice (1971 affaire Guiot), la famille et l’armée (1973 Loi Debré et Larzac) sans oublier l’enseignement technique, où est associée à la dénonciation du “ CET caserne ” celle du “ CET usine ”.

A l’inverse, après 1986 (Loi Devaquet) les revendications paraissent plus concrètes.
Il ne s’agit plus de crier “ à bas l’école des flics et des patrons ”, mais au contraire d’affirmer un droit à s’intégrer dans la société telle qu’elle est. La “ saisonnalité ” même des mouvements généralisés diffère. De 1968 à 1976 ce sont des grèves printanières à la fin du deuxième trimestre, après les conseils de classe, “ grèves ras-le-bol ” permettant de décompresser tels les “ chahuts ” d’antan.

Les mobilisations de 1986, 1990, 1998 et 1999 se situent, elles, en automne, partant des lycées de la périphérie en réaction à de “ mauvaises conditions d’étude et de rentrée ” et, contrairement à celles des années 70, débouchent, sur des victoires des
lycéens : (retrait du projet en 1986, plan d’urgence de 4,5 milliards de francs en 1990, reconnaissance des “ droits des lycéens )
A un certain “ idéologisme ” des années 68, (contestataire de l’ordre social et dénonciatrice de la société, succéderait un “ pragmatisme ” des années 1986/1990 marquant une volonté “ d’intégration ” à cette même société. Cette opposition simpliste mérite examen plus attentif.

Demeurent des constantes. En mai 1968, on note le caractère concret des “ cahiers de revendications ” ou de “ doléances ” des lycéens. sur la pédagogie, les réformes des études, les débouchés.
La crainte du chômage, ou de la déqualification, y apparaît également forte. On trouve également la dénonciation de locaux vétustes, l’insécurité, l’inadaptation du matériel.

NAISSANCE ET RENAISSANCES DES MOUVEMENTS LYCEENS

La période 1966/1976 voit un mouvement lycéen prendre naissance, puis trouver son autonomie vis à vis des mouvements étudiants jusqu’à devenir le principal acteur des mobilisations de la jeunesse.

Les modifications du calendrier des vacances scolaires qui ne seront plus, pour celles d’hiver et de Pâques, uniformes à l’échelle nationale, vont rendre plus difficiles ces mouvements nationaux de Printemps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mouvement du printemps 1973 contre la “ Loi Debré ” marque l’apogée d’un mouvement lycéen qui s’étend tant en âge avec la présence importante d’élèves de 3ème ou de 4ème, que géographiquement avec 250 villes touchées lors des
manifestations des 22 mars et 2 avril.
Cette fois, ce sont les lycéens qui ont entraîné les étudiants dans la grève. Une coordination se forme.

La deuxième période s’ouvre à partir du mouvement contre la loi Devaquet (1986)
On constate le même processus d’émancipation des mouvements lycéens vis à vis des étudiants. Là, la coordination étudiante prend l’initiative, organise l’action , les lycéens suivent mais sont la masse des manifestants.

En 1990, 1991, 1998 et 1999, ce sont des mobilisations spécifiquement lycéennes. A la différence des années 1970, aucune coordination unifiée et représentative.

SUR FOND DE MUTATIONS SOCIOLOGIQUES ET DE CHANGEMENTS POLITIQUES

La crainte du chômage consécutive à la crise économique depuis 1973 se traduit dans les revendications, et transforme les attentes. D’une révolte dirigée contre une institution qui n’offre plus ni le prestige, ni la promotion espérés, l’on passe à des
mouvements de défense de l’école et des diplômes désormais considérés comme bouclier contre le chômage.

Multiplication des lycéens et des lycées.
En l’espace d’une génération, l’expansion des effectifs et les réformes ont profondément remanié le secondaire. On y comptait 800 000 élèves dans le 2nd cycle en 1960, le triple en 1997. Le nombre d’établissements croît, comme le nombre de villes dotées de lycées. La situation matérielle se dégrade, elle sera au centre des récents mouvement de 1990.

Aspects et formes des mobilisations changent aussi, avec la massification ” et la “ nationalisation ” des manifestations. L'encadrement militant s'avère par plus limité.
Lycées et lycéens connaissent une profonde mutation.
C’est aussi la qualité du “ lycéen ” et du “ lycée ” qui change. Le “ lycée unique ” n’étant plus celui d’antan : existent les LEP (lycée d’enseignement professionnel) en 1979, puis lycée professionnel.

Une des causes du “ malaise ” lycéen, vient de l’effet du nombre, la déception frappe ceux qui découvrent que le prestige du lycée n’est pas celui qu’ils avaient espéré
Les rapports, entre jeunes de milieux populaires a sans doute contribué à nourrir des phénomènes de violence plus inédits et contemporains. Les mouvements lycéens sont devenus ceux des “ nouveaux lycéens ” d’origine populaire. L’épicentre de l’action collective s’est ainsi déplacé des villes vers les banlieues.

RECONNAISSANCE OU INSTITUTIONNALISATION

Dans l’après 1968, La loi Faure permet l’élection de délégués de classe et dans le conseil d’administration du lycée.
Le changement de majorité en 1981 transforme les rapports, désormais plus institutionnalisés, avec les mouvements et
syndicats étudiants, mais pas immédiatement du côté des lycéens.
Puis il y a alors rencontres entre mouvements lycéens et gouvernement. (en 1990, c’est le Président de la République, François
Mitterrand lui-même, qui reçoit une délégation de lycéens à l’issue d’une manifestation. En 1998, Claude Allègre reçoit les représentants de trois organisations (La FIDL, l’Union nationale des lycéens et le Collectif inter académique lycéen).
La représentation lycéenne se voit officiellement reconnue à partir de 1990, avec la participation des délégués lycéens Conseil supérieur de l’Education nationale, la création des Conseils académiques de la vie lycéenne, et d’un "Conseil nationale de
la vie lycéenne" Des circulaires précisent les droits à l’expression collective, de publication ou de réunion.


Est-on donc passé de la contestation à la reconnaissance ou à l’institutionnalisation ?
Le problème de l’autonomie des lycéens, comme de tout mouvement de jeunes, c’est qu’il ne peut assurer de stabilité qu’appuyé sur un soutien extérieur : syndicats, ou partis adultes, “ grands frères ” étudiants, ou bien Etat et administrations.

1973 : Manifestation contre la loi Debré (suppression du sursis pour le le service national)

Le projet de loi Devaquet en 1986 visait à une telle autonomie des universités et à l’instauration d’une sélection dès l’entrée à la fac.
Il a été balayé par la grève générale des étudiants, deux puissantes manifestations à l’Assemblée nationale et la menace imminente de la grève générale de l’enseignement.

Le 6 décembre 1986, Malik Oussekine, 22 ans, meurt lors de la répression d'un mouvement contre la réforme universitaire du ministre Alain Devaquet.
Etudiant à l’école supérieure des professions immobilières (ESPI), il n’était pas directement impliqué dans les manifestations qui rejetaient le texte voulant instaurer la sélection à l’entrée de l’université.Il fut matraqué par des policiers, alors qu'il s'était réfugié dans un hall d'immeuble.

Le ministre de l'Intérieur était alors Charles Pasqua et son secrétaire d'État, Robert Pandraud. Cette mort a contraint le Premier ministre, Jacques Chirac, à retirer le projet Devaquet, le 8 décembre 1986, et poussé Alain Devaquet, le ministre délégué, chargé de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, à la démission.